CABANE 15 - Le Chemin de l’Etoile

Jour 648

 

Elle est repartie d’où elle venait.

Là-bas, sur un territoire-île où se rassemblent celles qui marchent à côté des lignes, pour ne pas s’y enfermer.

 

Ensemble, elles ont joué à finir des phrases, à dénicher au fond de soi des morceaux d'idées puis les recoller comme un vase. 

Faire naître une histoire.

Puis des dessins.

Puis un·e musicien·ne.

Il paraît même qu’elles vont construire les décors et monter un théâtre.

 

Au commencement, il y avait une cabane.

Une cabane pour se raconter des histoires, des histoires de demain, comme des gamins.

Le Chemin de l’Etoile

Une petite fille triste...
Toute perdue dans sa grande chambre se lamente, pleurniche et chuchote sans fin. Elle s’énerve contre les nuages noirs, s’empêtre, tempête, s’étouffe. Voici trop longtemps qu’elle ne voit plus le soleil. Voici trop longtemps qu’elle traîne ses cafards à ses pieds. Elle les regarde, elle les contemple.

Un tour sur elle-même : elle n’en voit pas la fin.
Un autre tour d’elle-même : jamais ne changera rien.

Comment trouver la paix dans un monde intérieur où tout est sombre ? Comment s’extraire de cette spirale qui ajoute le doute au doute ? La petite fille tourne et retourne ses pensées noires dans son cœur gris de larmes. Elle regarde les cafards à ses pieds et réalise…

 

Qu’elle ne peut plus les supporter.

Qu’elle n’est plus capable de continuer ainsi.

Elle aimerait tant pouvoir se faire une vie lumineuse et vive.

Assez pour éclairer le monde. Un peu.

Tant d’autres en sont capables.

 

Un poids dans la poitrine.
Elle inspire. Lentement. Se calme. Prend ses cafards, les pose de côté et réfléchit. Que lui manque-t-il dans sa petite vie pour choisir enfin le beau face au gris ?

Elle s’apaise. Alors qu’elle cherche l’introuvable, une minuscule lumière la sort de ses pensées. Un tout petit point lumineux grossit, grossit, grossit devant ses yeux écarquillés.

 

___

 

Une étoile. C’est une étoile brillante, parfaite, éblouissante dont le jaune clair enveloppe d’un voile d’or toute sa chambre d’enfant ! La petite fille n'ose d’abord s'approcher, pétrifiée par l'étonnement, aveuglée par l'éclat. Soudain, une voix cristalline s’échappe du corps céleste :

« Viens avec moi petite fille, attrape-moi et je t'amènerai découvrir ton trésor, celui que tu espères tant. Tu le trouveras dans la forêt. Si tu le mérites. Si tu y mets tes plus belles convictions. Viens avec moi. »

Portée par un élan qu’elle ne se connaissait pas, l’enfant se saisit de l'étoile, et bondit avec elle dans les airs.

Filant dans la nuit oppressante, l'Étoile se pose bientôt dans une forêt sombre. Un peu effrayée, la fillette s'approche d'un arbre immense, s'y niche et aperçoit une colline au loin. L’endroit l'attire comme un aimant. Il faut qu’elle s'y rende ! Mais le chemin semble si long et dangereux. Ne ferait-elle pas mieux de rester blottie là, bien en sécurité ? 

Soudain un hurlement déchirant la fait sursauter. Elle aperçoit une silhouette de loup, plusieurs même, qui s'avancent vers elle, menaçants. Ils ont dû la sentir. Ils viennent. Que faire ? Continuer à se cacher comme elle a toujours fait, ou prendre le risque de courir comme jamais vers cette colline qui l’intrigue tant ?

Un second hurlement la propulse sur ses pieds. Elle court, maintenant. Elle n’hésite plus. Elle court à en perdre le souffle, trébuchant sous la lune, tout droit vers la colline, le cœur battant à plus de mille. Le chemin n’en finit plus. Effrayant. A chaque chute, chaque obstacle, chaque griffure, elle puise de tout son être dans ses ressources et se découvre une force incroyable. Même le hululement des chouettes ne l'empêche plus d'avancer. Elle se sent prête à tout affronter. Les loups sont loin. Et les arbres lugubres l’enveloppent maintenant comme une couverture bienveillante. 

Mais la forêt est immense, sans repères, elle est perdue. Le souffle rauque, elle s’arrête un instant pour s’orienter. Elle observe ces arbres étranges. Écarte une branche, frôle l’écorce et sait que tout ira bien. Elle qui avait peur de tout, depuis toujours, se découvre une bien belle assurance. Elle sent que quelque chose de bien va arriver.
 

___

 

Taca tac, son imagination galope. 

Taca tac, comme un bruit de sabots.

Taca tac, le son s’approche. Un cheval ? La nuit ? Dans cette forêt pleine de loups ?

Une crinière blanche s'avance et une longue corne vient l’effleurer.
Bien plus qu’un cheval ! C’est une licorne qui s'approche d'elle. Rien ne serait donc impossible ? La fillette accepte. Elle se laisse happer par la magie de l'instant, elle caresse le doux museau, s'émerveille de cette blancheur laiteuse. Et la licorne, d'une voix profonde, prend la parole : 

« Ce sont ton obstination et ta témérité qui m'ont fait venir, j'ai senti ton appel. Si tu me fais confiance, je saurai t'amener à destination. Grimpe sur mon dos jeune fille, je te porterai jusqu'au lieu que tu recherches. »

A peine installée sur son dos, les voilà parties dans un galop effréné, survolant presque le sol, narguant les loups, les ronces et les hiboux.

La forêt s'éloigne rapidement, et voilà que la colline apparaît. Ronde, douce, accueillante. La fillette saute à bas de sa licorne. Au centre, un beau chêne massif. Tout autour, des fleurs fraîches. Une jolie fontaine s’écoule entre les roches et lui offre de quoi boire. La licorne s’éloigne.

Assise au pied de l’arbre, elle pense à son aventure. 

« Une étoile, une licorne… Que va-t-il se passer encore ? Je venais trouver un trésor, sans aucune idée de ce que je pouvais chercher. Est-ce un coffre empli d’or ? D’argent ? Devrais-je creuser pour le trouver ? Quelqu'un va-t-il m’apparaître ? Chevalier ? Prince charmant ? » 

Toute à ses questions, la fillette ne prend pas garde aux mouvements furtifs autour d'elle. Des branches craquent, des feuilles bruissent. Elle tourne la tête. Scrute. Écoute. Elle remarque un couple d'écureuils qui courent, sautent puis se figent instantanément. Elle sent qu'ils ne sont pas là par hasard, qu’ils font partie de l’aventure. Sinon, pourquoi seraient-ils venus vers elle ? Alors, tranquille, elle leur demande : 

« Mes amis, sauriez-vous me guider vers… vers ce que je recherche, vers le trésor promis ? »

Les rongeurs la regardent tendrement, puis se dirigent d'un trait vers le tronc du grand chêne. Ils grimpent, joueurs, et lui désignent le creux caché sous la branche. Ils y entrent et attendent, la fixant de leurs grands yeux moqueurs.

Elle se hisse, glisse sa main dans le noir du creux, tâtonne, furette, sent quelque chose : un objet. Elle le saisit, le soupèse : “bien léger pour un lingot d’or”. Les mains tremblantes, elle sort sa trouvaille… Ce qu'elle découvre la met en larmes de joie. Ce n’est pas de l’argent. Ce n’est pas la fortune. C’est un beau cœur brillant, vibrant, doré comme une étoile. Et ce cœur lui transmet ce message :

« Toi, petite fille perdue, tu as fait un long chemin pour me trouver, pour que l’on puisse enfin se rencontrer. Tu as écarté tes cafards, écouté tes peurs et repoussé tes limites. En acceptant de prendre autant de risques, tu as éveillé quelque chose qui sommeillait en toi, et tu as commencé à t'aimer pour de bon. La confiance. Voilà le trésor le plus précieux que l’on puisse trouver. Avec ce beau cœur doré dans ta poitrine, tu ne seras plus jamais seule et tu pourras choisir chaque jour d'avancer plus légère, plus gaie, plus lumineuse et plus vive. Assez pour éclairer le monde.

 

Un peu. »