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Semeuses de Contes

formation à l’écriture multimédia (textes, sons et images) des Contes de l’Après.

  • Formateurs : Pierre Amoudruz et Martin Chastenet

  • Semeuses de Contes et autrices : Carole Arnal, Cécile Blatrix, Lola Guillot, Carine Renoux

  • Partenaires : Collectif Hypatie

  • Dates : du 30 janvier 2021 au 08 mai 2021

  • Durée de l’atelier : réalisation en autonomie suite à la formation Semeuses de Contes

  • Localisation : Hautecourt-Romanèche

CABANE 14 : Une montagne à soi

“Où il est question d’un cortège inter-espèces”

Jour 601

 

Nous les avions croisés à plusieurs reprises. 

Une brigade poétique qui s’amusait à souffler les mots au creux de la Reyssouze, comme ça, sans contreparties, pour les oreilles curieuses perdues sur les rivages de la poésie.

 

Puis le Grand Serment s’est installé. Ne pas toucher. Se cloîtrer en sécurité. Se regarder en chien de faïence. Envisager l’autre dans la défiance. Que voulez-vous raconter de nos futurs quand le mot d’ordre est no futur ?

Et notre Village de Dômes ? Notre rassemblement de cabanes ?

Aux ordures, à la benne, avec les relations, les accolades et les passions.

 

Alors elles ont préféré se retirer au large. Prendre de la hauteur. Tenter de se décontaminer pour mieux imaginer. Loin des écrans, loin des slogans. Elles sont allées faire germer leur cabane sur la plus haute colline bressane.

Elles en ont fait une montagne. 

Dernière terre émergée.

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Une montagne à soi

 

Il était une fois une belle planète.

Sur cette belle planète il y avait des montagnes et des océans, des lacs et des rivières, des étangs et des garrigues, des jungles et des bocages, des steppes et des déserts…
Et aussi des abeilles, des pangolins,
Des Buxus Buxus, des Renonculus Bulbosus
Des lions, des loups, des lynx et des blaireaux
et même des rhinocéros blancs

Dans un coin de cette planète, se trouvait un petit village nommé Rémonache-la-Montagne.

Dans la forêt de Rémonache-la-Montagne vivait une vieille personne, si vieille et si ridée et si étrangement accoutrée que nul ne savait plus si c’était un Monsieur ou une Dame. 

 

Il y avait si longtemps que cette vieille personne habitait là, au sommet de la montagne qui surplombe la rivière, que dans le village elle faisait partie du paysage. Tout le monde connaissait l’existence de sa cabane cachée au milieu des arbres. Elle vivait là entourée de chiens errants, de chats et de chouettes, de chamois et d’un fennec chelou qui tenait absolument à être apprivoisé.

Parfois on pouvait l’entendre s’adresser à ses bêtes dans un langage étrange et incompréhensible. Les villageois lui avaient donné le surnom de George mais personne ne se souvenait pourquoi.

 

___

 

Un jour, une affiche d’un jaune très vif fut placardée par l’employé municipal, à quelques dizaines de mètres de la cabane. George sortit de son abri et se planta devant l’affiche en se grattant la tête.

Cela faisait une jolie tâche jaune dans le paysage et George vit qu’une sorte de poème était écrit dessus, en tout petit. Mais la vue de George n’était plus ce qu’elle avait été.

Elle, ou il, se dit que les villageois avaient sans doute voulu lui offrir en cadeau ce petit monument de poésie. Pour montrer qu’elle (ou il) appréciait le geste, George apporta sa touche personnelle et décora le panneau avec des branches de buis, des trèfles et des violettes.

Mais dès le lendemain, George fut réveillé.e par un petit colibri.

 

- Hello George ! Je suis envoyé par la Brigade Internationale des Colibris. pour te prévenir qu’une menace terrible pèse sur ta montagne et ta rivière. Des tas d’engins vont arriver, abattre les arbres, percer la montagne, détourner la rivière. Ils ont décidé de construire un nouveau concept multi-fonctions : un centre commercial, de ressources et de loisirs, en mode tiers lieu pépinière de start-ups.  Je n’ai pas tout compris mais en gros, tu ne vas pas pouvoir rester ici.  Toi, ta cabane et tes bestioles, ça va pas être possible…

 

A ces mots, George se mit à frissonner.

- Mais de quoi est-ce que tu me parles ? Pour quelle raison la montagne serait-elle détruite ? Et puis, c’est quoi ce projet ?
 

Voyant son incrédulité, le colibri répondit d’un ton un peu vexé:

- Tu verras bien que je dis vrai . Même que cela s’appelle Open-Montagne-Tonique-cœur d’Europe. 

Un truc énorme, je te dis.
Ils ont prévu des Olympiades-du-Quad, des pistes de ski avec canons à neige pour quand il n’y a pas de neige,
Un Projet-Alimentaire-Territorial avec une ferme verticale,  une serre pour faire pousser des fraises et des tomates toute l’année en circuits courts
Ce sera méga projet vitrine des technologies du futur qui vont sauver la planète. Je crois que sont aussi prévues deux ou trois et des panneaux photovoltaïques, Et bien sûr tout le matos pour la 5G.

George était comme tétanisé.e – un poème de son enfance tournait en boucle dans sa tête 

Ils cassent le monde / à coup de marteau / mais ça m’est égal / ça m’est bien égal / Il en reste assez pour moi / Il en reste assez (1)

Apparemment non, il n’en restait plus assez...

George alpagua la bestiole qui virevoltait autour de sa tête d’une manière plutôt agaçante :

- Pourquoi es-tu venu me dire cela ? C’est quoi l’idée ? Que puis-je faire pour l’empêcher ?

Le colibri battit des ailes, et ouvrit son petit bec pour lâcher une minuscule gouttelette d’eau qui atterrit sur les vibrisses d’un chat - qui passait par là :

- Comment veux-tu que je le sache ? J’ai fait ma part, moi : je me casse. Déjà que je ne sais même pas où atterrir…
 

A peine avait-il prononcé ces mots qu’il s’envola et ne fut bientôt plus qu’une petite tâche dans le ciel.

- T’as raison, dégage, maudit petit colibri, maugréa George en rentrant dans sa cabane.
 

Mais deux minutes après, le colibri revenait :

- Encore une chose. :qu’il faut que tu saches : ton avis sera pris en compte. En vertu de la Convention d’Aarhus et de la Charte de l’environnement, tu disposes d’un droit à valeur constitutionnelle de participer à l’élaboration des décisions en matière d’environnement… Enfin bref, tout est expliqué sur l’affiche jaune près de ta cabane, tu sais lire non ?
 

Il repartit aussitôt.

 

___

 

George était plus abattu.e et déprimé.e que jamais.

Open-Montagne-Tonique, sérieusement ?

Ce qu’elle, ou il, avait pris pour une offrande poétique des villageois était en réalité un préavis de ce sinistre projet !!!?

George contempla son biotope, les arbres qu’iel aimait tant et sa petite meute de non-humains insouciante et inconsciente du danger qui venait.

Qu’allait-il, ou elle, enfin iel, bien pouvoir faire contre les puissances du Progrès en marche ?

Allait-iel lancer une pétition sur Change.org ? Contacter une association de protection de la nature et de l’environnement ? Écrire une lettre au Président de la République ? Organiser une manifestation voire carrément une ZAD ? 

Quel était le sens de tout cela ?

George se sentit totalement impuissant.e et comprit qu’il ne faudrait compter que sur elle-même  (ou sur ou lui-même).

 

Alors, George s’enferma dans sa cabane pendant 7 jours et 7 nuits et colloqua longuement avec tous ses animaux et plusieurs divinités secrètes. On pouvait entendre comme un grand remue-ménage et toutes sortes de chants, de sons et de voix mi-humaines mi-animales.

Si quelqu’un avait pu observer les lieux, il aurait vu défiler tout un cortège de curieux personnages : Une Dame Blanche, Quatre Mousquetaires, un petit troupeau de Dahus, une Vouivre, des esprits de la Forêt…. Harry P., un magicien qui n’avait pas l’air d’accord avec une certaine Bellatrix ; Tris, Rocky et Chewbacca ainsi que plusieurs super-héros furent de la partie, mais aussi une petite Fadette…

La nuit qui suivit le 7ème jour était une belle nuit de pleine lune.

Au petit matin, après avoir bu une dernière gorgée de bière, George sortit accompagné.e d’un cortège de non-humains.

George descendit vers la rivière, marchant doucement.

De temps en temps George se baissait pour ramasser des cailloux sur le chemin. Certains avaient de jolies formes ; il y en avait un qui ressemblait à une tête de renard ! D’autres étaient ronds, plats et doux sous ses doigts. Tous finissaient au fond des poches de son vieil imperméable, et George les caressait de ses vieilles mains ridées. Les cailloux roulaient contre sa peau, les toucher lui procurait une grande sensation de paix.

Arrivé.e sur la rive, George resta à contempler le ciel un instant, et huma l’air de cette belle journée de printemps qui commençait. Il faisait encore frais, mais bientôt le soleil allait se lever, encore une fois.

Une clameur se fit entendre tandis que doucement George descendait pas à pas dans le lit de la rivière.

 

___

 

La nature est tout ce qu’on voit,

Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime.

Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,

Tout ce que l’on sent en soi-même.

Elle est belle pour qui la voit,

Elle est bonne à celui qui l’aime,

Elle est juste quand on y croit

Et qu’on la respecte en soi-même.

Regarde le ciel, il te voit,

Embrasse la terre, elle t’aime.

La vérité c’est ce qu’on croit

En la nature c’est toi-même. (2)


 

1. Ils cassent le monde, poème de Boris Vian

2. A Aurore, poème de George Sand.

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