CABANE 13 -
Séraphin le lutin de St Amour

Jour 577

 

Elle s’est initiée à l’art de tisser des cabanes.

A l’art de construire des récits, de les faire sonner.

Elle est devenue Semeuse de Contes.

Puis elle est partie sur une petite île isolée

A quelques brasses du continent bressan.

Elle est allée les retrouver.

 

Et elles sont là.

Les cannes étincellent, les regards pétillent.

Elles en ont des choses à dire ! Tellement que leurs souvenirs vacillent.

Toutes additionnées, elles ont vécu autant qu’un grand chêne.

 

Au départ, quand elle leur propose d’imaginer l’avenir, il y a une grande ombre, un mur dressé ; infranchissable. A leur âge ?

Elle sourit. 

Il se fendille.

Insiste.

Et l’ombre s’écroule.

Séraphin, le lutin de St Amour

​

Séraphin le lutin habite le tilleul de l’EHPAD de St Amour depuis fort fort longtemps. Peu de gens ont la chance de le rencontrer, car voilà déjà plusieurs années qu’il sommeille tranquillement.

 

Réglé sur le mois d’avril de cette année, son réveil sonne.

 

Séraphin s’étire, saute du lit et ouvre sa porte pour admirer le réveil du printemps. 

 

Alors qu’il s'apprête à retrouver son bel environnement, une sensation étrange l’envahit. Quelque chose ne va pas! Les rosiers sont déjà en fleur et le talus est orné bizarrement ! Même la pelouse est d’un vert fluo ! Il descend de son arbre et constate : « Du plastique, du plastique partout ! Et de l’herbe synthétique ! Quelle horreur ! Et ce silence ! Où sont passés les chants d’oiseaux ? Et le bourdonnement des abeilles ? Mais qu’est-ce que ces idiots d’humains ont encore fait ? »

 

Près du puits, le lutin entend un bruissement familier .

 

C’est une  jolie libellule bleue.

 

- Bonjour Séraphin, je suis Gudule. Ravie de faire ta connaissance, je n’étais pas sûre que tu te réveilles cette année. As-tu bien dormi ?

- Euh oui merci, mais que se passe-t-il ici ? Pourquoi le jardin est-il  recouvert de ces horribles artifices ? Et les oiseaux, et les insectes, où sont-ils tous passés ?

 

La libellule, l’air désemparé:

 

- Ce sont les humains qui ont causé ce désastre ! Avec leurs engrais, leurs pesticides et leurs pollutions, tout s’est déréglé ! Plus. rien. ne. pousse ! 

​

Comme d’habitude, ils ont fermé les yeux sur leurs actes stupides et ont préféré poser de la pelouse et des fleurs en plastique pour profiter des couleurs du printemps toute l’année, même si cela n’a aucun sens !

 

Séraphin n’en croit pas ses oreilles.

 

- Mais... on ne peut pas laisser faire ça ! Il faut réagir ! Va chercher tous les habitants du jardin, et ensemble, nous trouverons une solution !

 

Séraphin fronce les sourcils et commence à tourner en rond autour du puits tandis que Gudule appelle de sa petite voix fluette :  

 

- Reinette ! Miraude ! Venez vite !

 

Du fond du puits, une joyeuse petite grenouille surgit sur le rebord. 

Près de là, le sol se met à trembler et une taupe à l’air grognon sort de la terre retournée :

 

- C’est Mad’moiselle Miraude ! Bon, que voulez-vous ? Je suis pressée !

 

Le lutin prend la parole:

 

- Bonjour Mesdemoiselles, nous ne pouvons pas laisser le jardin dans cet état. Il faut que la nature reprenne ses droits. Où est passée Dame verte ? C’est son boulot de faire repartir la nature au printemps ! Elle doit nous aider ! 

- Impossible, répond Gudule, Dame Verte s’est retirée dans sa grotte. Les humains l’ont complètement déprimée, elle ne veut plus en entendre parler.

- Mais que faire ? Coasse Reinette, les produits chimiques ont tout anéanti, il nous faudrait planter des graines saines, sans modifications génétiques ! Mais on n’en trouve plus nulle part !

- Moi je sais où en trouver, répond Miraude. Ma vue n’est sans doute pas très bonne, mais j’ai trouvé sous la terre ce que personne ne pourrait soupçonner.

 

Devant la perplexité de son auditoire, elle précise:

 

- Savez-vous qu’autrefois, ce bâtiment était une apothicairerie, et qu’en sous-sol se trouvait la grande salle des préparations ?

 

Séraphin connaît bien l’endroit. Il date d’avant l’invention des pharmacies. On y trouvait tout ce qu’il faut pour se soigner : des potions animales, minérales et végétales. 

 

Voilà la solution !

Gudule part vers la grotte pour motiver Dame Verte et la persuader de leur apporter de l’aide. Le lutin et   la grenouille quant à eux suivent la taupe dans ses galeries pour rejoindre la grande salle de préparation de l’apothicairerie.

 

La pièce oubliée est magnifique : plafond voûté, peintures, boiseries, et des centaines de contenants en faïence ou en verre. Les trois compères se mettent à la recherche de tout ce qui peut se planter et récupèrent avec joie les graines restées intactes. Une fois le butin amassé, ils repartent à l’extérieur. Gudule, elle, n’est toujours pas là.

 

Comment allons-nous procéder, dit Séraphin ? Si on enlève cette fausse pelouse pour semer, les humains en dérouleront une autre avant même que les graines aient germé.  Pas question de perdre notre précieux trésor. 

Reinette qui a une idée:

- Utilisons des paniers comme des berceaux. Remplissons-les de terre, plantons les graines et accrochons-les aux branches du tilleul. Elles pousseront à l’abri des hommes et à la pleine lumière. J’irai chercher de l’eau au fond du puits et Gudule les arrosera. Quand tout sera prêt, nous profiterons du sommeil des Hommes pour retirer le plastique et faire nos plantations. Dame verte accélèrera leur croissance et tout reviendra comme avant.

 

Quelle brillante équipe ! Mademoiselle Miraude part chercher la terre, Reinette remplit les paniers, Séraphin plante soigneusement les graines en séparant bien les espèces : les aromatiques, les fruits, les légumes, les plantes médicinales, les fleurs décoratives... Tout ce qu’il faut pour retrouver le beau jardin d’antan. 

 

Mais que fait Gudule… ? N’a-t-elle pas trouvé Dame Verte ?

 

4 jours plus tard, des feuilles vertes apparaissent dans les paniers. Mais les pousses sont bien fragiles. Alors que les habitants du jardin s'inquiètent, un bruissement d’ailes se fait entendre. 

 

Gudule arrive enfin ! Une magnifique créature se tient en silence auprès d’elle : c’est la déesse des bois, la fée des prairies de Franche-Comté : Dame Verte. Il en a fallu de la persuasion pour la décider.

Silencieuse, Dame Verte promène autour d’elle son beau regard curieux. En apercevant les petites pousses fragiles des larmes de joie perlent à ses paupières… arrosées par cette fontaine miraculeuse, les semis se mettent à pousser, pousser… !

 

Devant ce spectacle, Dame Verte ressent à nouveau la magie du Printemps. Elle retrouve sa grâce, sèche ses yeux, et se lance dans un chant et une danse envoûtante. Sa longue robe de mousseline verte balaie le sol, emportant le maudit plastique et ses pieds virevoltent en retournant la terre. D’un geste gracieux, de sa main blanche, les paniers s’envolent pour répandre leur trésor dans le sol, et de ses manches sortent des oiseaux et des insectes par dizaines ! 

. « Et voilà ! » dit-elle simplement sous les yeux ébahis des quatre compagnons.

Épuisés, ils s’endorment dans ce nouvel Eden….

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Au petit matin, les fenêtres de l’EHPAD s’ouvrent. Quelle surprise ! Quelles odeurs divines et quels sons magnifiques! C’est l’émerveillement ! Toute la résidence descend ! Au milieu des exclamations de joie, le cliquetis des cannes, le tapotement des déambulateurs et le grincement des fauteuils roulants forment un charmant brouhaha qui réveillent les plus gros dormeurs.

 

Émerveillé, chacun observe la jolie fée verte, le lutin légendaire, la grenouille, la taupe et la libellule. Dame Verte, ragaillardie par sa réussite, prend la parole :

- Faites silence humains, et observez autour de vous ce magnifique jardin… Écoutez le chant des oiseaux, le bourdonnement des insectes, sentez ces doux parfums qui nous enivrent… ! Grâce à la sagesse des Anciens, à leur savoir et leur prudence nous avons retrouvé ces graines préservées. Nous avons recréé ce monde qui existait avant vos folies ! Tout cela n’existera plus si vous n’en prenez pas soin. Alors protégez et respectez ce joyau qu’est la vie. Elle vous le rendra. Transmettez ce message à vos enfants et leurs enfants ! »

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Soudain, le clocher sonne 7 heures et le premier rayon de soleil traverse le ciel de Saint Amour. Nos héros disparaissent dans une poussière d’étoile, devant les yeux écarquillés des humains bouche bée. Avaient-ils rêvés ?

 

Depuis ce jour, des paniers d’osiers sont suspendus dans le tilleul de l’EHPAD. Si vous passez à St Amour, venez-les voir. Si vous êtes attentifs, il est possible d’apercevoir une taupe, une grenouille, une libellule ou un lutin qui profitent d’un bon bain de nature. Et il y aura bien une grand-mère attentionnée pour vous montrer le chemin de l’apothicairerie.