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Semeuses de contes 

formation à l’écriture multimédia (textes, sons et images) en vue de semer des Contes de l’Après

  • Intervenants : Pierre Amoudruz et Martin Chastenet

  • Participant.es et co-auteur.ices : Nour A, Anne Hild, Cécile B, Joële J, Joseph C, Jorge A, Céline Bachelier, Sylvie A

  • Voix : Jacques Epailly, Odile Cavin, Martin Chastenet

  • Dates : du 30 janvier 2021 au 6 février 2021

  • Durée de l’atelier : 2 ateliers de 2 jours

  • Localisation : salle marcel pacaud cité administrative, Place de la Résistance, 01340 Montrevel-en-Bresse

CABANE 12 - le Poulpe

“Où il est question de bien vivre sous l’eau”

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Jour 542

 

A un moment donné, c’était trop pour nous.

Construire des cabanes dans chaque village. Rassembler les gens. Les aider à mettre en mots leurs désirs, à dessiner et rendre sensible leurs pensées. Le Grand Serment nous avait pris de court. On n’avait plus le temps, il nous faudrait bientôt partir. 

 

Et après ?

Que reste-t-il ?

 

Il fallait qu’on s’entoure, qu’on transmette ce qu’on savait faire, que d’autres puissent nous venir en aide pour continuer à imaginer ces histoires de l’Après. L’après qu’on veut. Celui qui n’est pas prêt.

 

On a essayé de mettre au point une recette, avec ses ingrédients. On a organisé un grand cours de cuisine où apprendre à pétrir une intention, faire lever une chute, saler une dramaturgie, napper le son et hacher le pixel. Déguster fumant : en live !

Celles qui sont venues - car c’était surtout elles - s'appelleraient désormais les Semeuses de Contes. 

Le Poulpe

Dans un avenir plus ou moins proche,  la terre est devenue inhabitable. 

Les hommes vivent sous l’eau , dans des habitations sphériques étanches, ballotées au gré des marées. Sorties de ces bulles urbaines surpeuplées, on trouve quelques fermes isolées qui produisent et fournissent la population en besoins essentiels.

 

C’est ici que vit Carl.

 

Carl est aquaculteur, un fermier sous-marin. Il est spécialisé dans la culture intensive des algues auréolées. Ces végétaux rares sont très appréciés des hommes car capables à la fois de les nourrir et de produire leur électricité. 

 

Tous les matins, Carl enfile sa combinaison oxygénée et sort s’occuper de ses plants adultes et surtout des jeunes à la pépinière. C’est un aquaculteur heureux. 
 

__


 

Un jour comme chaque jour, Carl fait le tour de son parc à algues, très fier de son travail et très attentionné. Il a une parole tendre pour chaque feuille et chaque jeune pousse. 

 

Tout à coup, horrifié, il aperçoit un vide béant, là, au beau milieu du pré :  de jeunes plants d’algues vertes ont été arrachés. 

 

“Mes boutures ! Envolées ! Que sont devenues mes chères petites algues ? 

Comment vais-je pouvoir me nourrir ? Comment vais-je produire l’énergie pour m’éclairer ?! “

 

Il examine le lieu du massacre. 

Aucune trace et pas la moindre piste.

Mais Carl ne s’avoue pas vaincu !

 

En rentrant chez lui, il fouille son appentis et déballe, en vrac, tout un attirail de chasseur-plongeur : pièges, appâts, capteurs et caméras. Le voilà qui installe ce matériel hi-tech autour de la pépinière. Avec ça, les voleurs seront sûrement attrapés !

 

Tranquillisé par son installation, il traverse une nuit sans cauchemar ni appréhension.  Mais le lendemain : stupeur ! De nouveaux plants ont encore été arrachés !

Il vérifie les détecteurs, repasse les images de vidéosurveillance… mais rien n’est visible ! Aurait-il affaire à un fantôme des profondeurs ? 

Démuni, il fouille dans les vieux livres de son grand-père jusqu’à tomber sur une piste. Il lit tout haut:
 

Poulpe : nom donné en français à certains céphalopodes de la famille des octopodidés. Ces animaux se caractérisent par leur grande intelligence et par leur capacité à changer de couleur au millième de seconde pour se fondre dans leur environnement, ce qui les rend quasiment invisibles. 

 

“Sacrebleu ! Je le savais ! Un caméléon des mers ! C’est cet octopoulpe de misère qui me vole mes petits plants !”

__


 

Carl est hors de lui ! Hors de question qu’un octopode gluant ruine son travail. Le voilà bien déterminé à chasser le voleur de sa pépinière. 

 

Mais, jour après jour, malgré toutes ses astucieuses tentatives, le poulpe continue de lui échapper. Pas moyen de berner l’animal. Ne parvenant pas à l’attraper, il décide de le suivre jusque dans sa tanière pour le piéger.  

Le poulpe rentre chez lui, les tentacules chargées de jeunes plants. Il traverse un long vallon sablonneux, escalade les blocs de rochers amoncelés et, soudain, glisse dans un trou pas plus grand qu’un ballon de football. 

En tenue de camouflage, Carl s’approche discrètement pour y jeter un œil.

Quelle surprise ! Sous les rochers, Carl découvre la copie conforme de son propre champ d’algues. La seule différence, c’est que les algues qui s’y trouvent sont 2 à 3 fois plus grandes et belles que les siennes.

Légèrement vexé par la comparaison, l’aquaculteur observe le poulpe, affairé à crachoter son encre au-dessus de chaque plant, du bout de ses tentacules..

Il reste bouche bée ! Il vient de comprendre : l’encre du poulpe est une sorte d’engrais qui rend les plantes plus fortes et plus belles. 

Mais plus important encore : l’animal est un fermier, comme lui. 

Comment est-ce possible ? 

Plein de jalousie, Carl est bien décidé à capturer la bestiole.

Après quelques heures de recherches en ligne, il trouve enfin l’article qui lui convient. Il commande sur Célazone une arme spécialement inventée pour chasser l’octopoulpe furtif : le taser à mollusque. 

Ainsi armé, le voilà qui s’en retourne jusqu’au repaire du caméléon des mers. 

 

Il le trouve, le vise, l’ajuste et BAM ! Lui colle une décharge électrique juste au-dessus de l’arcade. Ni une ni deux, le Poulpe tombe, raide !

 

Carl contemple la bête assommée et retient son souffle, comme étonné.

Elle est magnifique ! Son œil profondément noir semble briller d’une intelligence étoilée. Quelque peu attendri, il ramasse la dépouille désarticulée, l’emporte jusque chez lui et l’enferme à double tour dans le grand casier à homards.  

Voilà l’octopoulpe prisonnier.

__


 

Après un temps, l’animal se réveille. Il essaie de se libérer ; il tire, enroule, pousse, mais échoue sans cesse malgré la force de ses assauts. 

Carl observe la scène, au chaud dans sa combinaison.

 

Le poulpe le remarque et s’arrête d’un coup sec !

Il le fixe avec insistance, oeil à oeil. Carl ne redoute pas un combat de regard. Il engage le jeu et plonge ses yeux dans ceux de l’animal. L’heure passant, il sent son attention se relâcher lorsqu’il entend dans sa tête :

 

“Tu ne gagneras pas Carl. Je peux jouer à ce petit jeu des jours entiers sans jamais me fatiguer. Dis-moi plutôt. Pourquoi m’as-tu piégé ?”

 

Abasourdi, Carl pense qu’il est en plein délire, qu’il subit l’ivresse des profondeurs. Mais...

 

“Non Carl, tu n’hallucines pas. C’est bien moi qui te parle. Tu ne maîtrises donc pas la télépathie ?”

 

L’homme n’en revient pas ! L’animal est littéralement dans sa tête et lui parle. Alors que le dialogue s’installe tête-à-tête, Carl se lance à l’attaque : 

 

- Tu voles mes plants d’algues ! Des plants que je mets des semaines à faire germer, à faire pousser !  Et moi, je n’en ai plus assez pour survivre.

- Tu plantes des algues pour survivre ? 

- Oui, pour survivre. Ces algues me permettent de produire de l'électricité et de manger ! J’en consomme une partie pour mes propres besoins et je vends le reste à la ville.

- Etonnant. Je ne comprenais pas pourquoi tu en cultivais autant. Je pensais que c'était un jeu, tout simplement.

- Comment ?! Passer mes journées dans l’eau gelée en combinaison de plongée : je n’appelle pas ça jouer ! C’est mon travail de cultiver, et c’était celui de mon père et son père avant lui ! 

- Je comprends mieux ta colère Carl. Voir disparaître le fruit de tes efforts t’a poussé à vouloir me mettre en cage. Mais, t’es-tu seulement demandé pourquoi je prenais tes algues?

- Non, mais j’ai vu que tu les avais plantées dans ta grotte…

- Elles me servent à nourrir mes petits. Tu sais, depuis longtemps, je ne trouve plus assez de nourriture par chez moi. Vous les humains, vous vous êtes accaparés toutes les richesses sous-marines, et nous n’avons presque plus rien.

 

Carl écoute attentivement, un malaise au cœur. Le poulpe continue.

- Vois-tu Carl, toi tu sais faire pousser des “bébés algues”… j’en suis bien incapable. Mais moi je sais les faire grandir bien mieux que toi, grâce à mon encre qui est un engrais très puissant. Une idée me vient : ne pourrions-nous pas travailler ensemble toi et moi ? Donnant donnant ?
 

___

 

La nouvelle fait le tour du monde.

Tous les aquaculteurs connaissent maintenant les algues vertes de Carl le maraîcher et de Zoé - et oui, Zoé, c’est le nom de notre octopoulpe - . Car ils ont réussi une entreprise magnifique. Ensemble, ils cultivent les plus belles et les plus savoureuses algues de la planète. On dit même qu’elles fournissent plus d’électricité que les plantes transgéniques des mers de Chine, cultivées à grand renfort de produits chimiques.

 

On dit aussi que Carl a envoyé un courrier sévère à Célazone. Celui-ci disait en ces termes:

 

Cher Célazone,

 

Alors que j’étais dans la misère, tu m’as vendu une arme pour triompher de mes ennemis. Je t’en remercie. Avec elle, j’étais plus fort et plus sûr de remporter mon combat, de détruire ceux qui me nuisent et celles qui s’en prennent à moi. 

 

Grâce à toi, j’ai aussi failli donner la mort à ce que j’ai aujourd’hui de plus précieux. Je ne sais pas ce qui m’a permis d’entrevoir la vérité, ce qui m’a fait ouvrir les yeux. Mais ce n’est sans doute pas ta caméra sous-marine, ni tes pièges et tes appâts stériles ! Alors Célazone, sache qu'à partir de maintenant, tes gadgets hi-tech, tu peux te les mettre “tentacules”.

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