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Contes de l’après 

  • Intervenants : Martin Chastenet 

  • Participant·es et co-auteur·ices : Claire Jaeger, Didier Weber, Elina & Sandrine Baillet, Mathis & Romain Mariller, Alexia Lefoyer,  Virginie Deroy,  Alix & Nino Michelon avec le soutien de Camille Michelon

  • Voix : Juliette Lochu, Sophie Griffon, Bérangère Bulin

  • Dates : 1er Février 2020

  • Durée de l’atelier : 1 journée

  • Partenaires et localisation : Bibliothèque de Cormoz, 26 Rue de la Salle des fêtes, 01560 Cormoz

CABANE 05 - Aurores boréales...

« Où l’on s’organise après le grand tremblement de Ciel »

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Jour 366

Trop fragiles.

Au moindre souffle d’air, elles s’affalent, nos cabanes. Il faut renforcer la prise au vent ; hisser à bord de quoi prendre le large ; s’assurer que la structure résiste à la contradiction, à l’abattement.

 

On trouve ici quelques naufragé·es. On leur partage nos inquiétudes, sur la solidité des fondations, le choix des fixations. Ils écoutent attentivement, hochant la tête comme si nos problèmes passaient au-dessus. 

 

Des nuages.

Le vent finirait bien par les repousser. 

Alors, à quoi bon ? A quoi bon changer !

 

Puis vient le moment d’écrire.

De pousser timidement les premières idées pour que d’autres se hissent à bord. Les additionner. Décrire. Nommer.

Il y a ceux qui se prennent au jeu rapidement et proposent du scénario en pagaille. Il y a celle qui ne disait rien jusque-là et d’un coup affirme :

 

“Elle s'appellera Alix !”

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Des aurores boréales...

Alix a douze ans. Elle vit dans un monde tout en rondeurs, en cercles et en sphères : les habitations, les parcs et jardins, le mobilier, les habitudes de retrouvailles au coin du feu dans les maisons. Tout est pensé pour circuler de manière douce et fluide. Les paysages sont magnifiques, et la lumière des aurores boréales qui éclaire les journées est simplement magique.

Chaque jour, juchée sur son ballon transporteur, Alix part en mission archéologique. Elle explore, creuse, récupère, déterre, exhume une ribambelle d’objets de l’ancien temps qu’elle collectionne avec passion. Avec ses trouvailles, elle s’invente des histoires invraisemblables.

Aujourd’hui, elle a trouvé quelque chose de tout à fait exceptionnel : un petit objet tout carré, un cube avec un bouton rouge, sur lequel est gravé un smiley carré et chevelu. Alors qu’elle appuie dessus, une image immense apparaît devant ses yeux. Elle flotte dans l’air comme un hologramme.. 

A l’image se déploie un univers incroyable. Une maison blanche et carrée, des fenêtres transparentes et carrées, un jardin avec une allée garnie de petits cailloux carrés, des arbres feuillus taillés au carré, des haies alignées, carrées, un bassin avec des poissons carrés comme des poissons panés. Tout est carré ! Sur le cliché, elle aperçoit une jeune fille, l’air insouciante et joyeuse, assise sur son vélo à roues carrées.

Elle la connaît ! C’est sa mamie, quand elle était petite. Elle porte ce fameux grain de beauté déposé par la vie sur sa pommette droite et qui la caractérise parfaitement.

Le coeur et la tête pleins de questions, Alix se hisse dans son petit dirigeable et pédale à toute vitesse jusqu’à la maison de sa grand-mère. Là, elle l’interroge :

- Mamie ! J’ai trouvé un hologramme, regarde ! C’est toi dessus ! On dirait que tu as mon âge ! Et tout est carré autour de toi ? C’est tellement bizarre. Explique-moi s’il te plait.

- Montre-moi Alix… fais-moi voir… Oh oui, en effet, c’est une photo holographique prise lorsque j’avais 12 ans. Laisse-moi te raconter le monde dans lequel j’ai vécu et les épreuves que nous avons traversées. En mai 2068, un évènement intergalactique s’est produit. Tu le connais sous le nom de “tremblement de ciel”.

Tout a commencé par un ciel terriblement pesant. Là haut, c’était un feu d’artifices, on voyait des éclairs rouges, violets, oranges, mais surtout des “cieliques”. On a senti la terre bouger, comme si elle sortait de son orbite stellaire, et peu à peu, le monde s’est assombri. Pendant des jours et des jours nous étions dans le noir, nous avions froid, nous étions terrifiés.

Un matin, surprenant nos derniers rêves, une lumière aux multiples couleurs nous a tous réveillés. J’ai regardé par la fenêtre et je n’ai pas vu notre soleil adoré. À la place, des aurores boréales ondulaient dans le ciel noir. Elles éclairaient le paysage d’une drôle de manière.

Dehors, tout avait changé. Sur les zones d’ombres que les aurores boréales n'éclairaient pas, le sol était complètement gelé, l’air ambiant glacé et difficile à respirer. 

Je me suis couverte chaudement et j’ai rejoint à la hâte le repaire secret de ma bande d’amis. A l’époque, j’aimais beaucoup dessiner. Chacun avait sa spécialité au repaire. Il y avait des constructeurs, des rafistoleurs, des raccommodeurs et même des récup-errants comme toi. Nous savions qu’on ne tiendrait pas longtemps dans cet environnement polaire, il fallait trouver une solution ! Nous adapter, nous réinventer... 


Nous avons rapidement compris que c’était la forme carrée qui était le problème principal. Les angles intensifiaient les ombres et empêchaient la chaleur de s’installer. Et puisque nous vivions dans un monde où tout était carré, un changement radical s’imposait : nous allions nous pencher sur des courbes et des cercles.

Nous avons jeté nos équerres, pris nos compas et nous avons dessiné, croqué, projeté, imagé. A force de tracer des courbes, des cercles, des ronds et des ellipses, nous avons fini par dessiner un nouveau type d’habitation. Il serait courbé comme une sphère, vivant comme une cellule, rond comme une planète. On l'appellerait : géode. 

Cette construction réduirait les ombres et conserverait bien mieux la chaleur. Un foyer chaleureux serait placé au centre, et permettrait aux habitants de se retrouver, d’échanger, d’être au chaud, d’être ensemble. 

A partir de ce dessin, notre bande s’est partagée en deux et nous avons sollicité l’aide de nos familles. Les uns ont entamé la construction du premier dôme, les autres ont imaginé puis rédigé ce qui s’est appelé plus tard “la théorie de la circulation”, petit fascicule humble et humaniste invitant à changer nos regards et revisiter nos habitudes pour mieux savoir accueillir les nouveaux départs. 

Après plusieurs mois de travail, trois dômes ont vu le jour sur le village et nous avons commencé à vivre dedans. Nous avons invité nos amis, nos voisins et les curieux-de-tout à se mettre au chaud avec nous, et nous leur avons conté les-pourquoi-du-comment de nos initiatives. Très rapidement, plusieurs personnes ont souhaité se lancer eux aussi dans cette aventure. 

Après 2 ans seulement, le village comptait 17 dômes. Les habitations classiques avaient été abandonnées, déconstruites pour la plupart et recyclées sur de nouveaux chantiers. 

Les thermomètres ont bientôt confirmé ce que nous avions pressenti : le changement de mode de construction et la diminution des zones ombragées nous avaient fait gagner une chaleur globale significative. Et “la théorie de la circulation” avait eu un impact important sur la gaieté des habitants.  

Un soir d’automne de l’année 2070, nous nous étions donné rendez-vous au repaire. Nous voulions discrètement fêter la réussite de notre projet et penser à la suite. À l'échelle de notre village, ce nouveau mode de vie semblait être une réussite. Alors comment partager plus, plus loin, pour tous ?

A l'unanimité, nous avons décidé de déposer anonymement et gratuitement les plans des géodes et notre “théorie de la circulation” sur le RIDP, le Réseau International Du Partage, sans imaginer un instant l’ampleur du phénomène à venir.  

Très vite, le monde s’est emparé de nos propositions, les a déclinées, améliorées adaptées, et partout, les paysages se sont arrondis. Les angles ont disparu. La chaleur est revenue. Les Hommes ont pu à nouveau cultiver et vivre dehors. De nombreuses rumeurs ont circulé à propos de celles et ceux qui étaient à l’origine de l’idée, sans qu’aucun d’entre nous ne dévoile jamais la vérité. 


 

Fascinée par l’incroyable histoire que sa grand-mère vient de lui raconter, Alix laisse ses pensées divaguer. Elle imagine sa grand-mère, carnet à dessins devant elle, ses crayons et ses compas en train de donner forme à de belles idées rondes. 

Elle ne saura jamais si cette histoire est vraie, mais elle aime l’idée que le mystère persiste, et grave ce récit dans son cœur bien au chaud. 

Un crayon dans la main, devant son propre carnet d’exploratrice, Alix laisse aller son crayon machinalement… cependant, une question lui taraude l’esprit : peut-on vraiment changer le monde à partir d’un dessin ? 

Elle ouvre les yeux. Sur sa page, un nuage est tracé.

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