CABANE 02 - Le chat de Schrödinger

Le chat de Schrödinger

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Je vais vous raconter l’histoire du jour où le dernier chat changea l'Histoire du monde.

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2122.

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Montrevel n’est plus qu’un désert au bord de l’immense océan. Le brouillard a laissé place à la sécheresse. Les rares traces de vie, végétales et animales, sont un bien rare que les plus riches, cachés derrière la société Grand Santo, se sont appropriées. Toutes les graines et semences lui appartiennent. Elle les conserve jalousement dans des réserves protégées et les vend à prix d’or.

Imaginez : le parfum d’une rose, le bruissement des arbres dans le vent, la douceur d’une fraise à peine cueillie que l’on croque. A cette époque-là, ni vous, ni moi, n’y avons plus accès.  

Alors comment se nourrir jour après jour, quand plus aucune graine ne pousse ? Et comment vivre dans un monde où seuls les plus riches peuvent accéder aux ressources ? 

Sur la commune, certains refusent farouchement cette situation. Auto-proclamés “Les Flamands Verts”, ils se réunissent secrètement sous le dôme du village faussement à l’abandon, et cherchent comme ils peuvent des solutions à leurs problèmes. 

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L'ASSEMBLÉE des FLAMANDS VERTS

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Ce soir, alors que toutes les tentatives de négociation avec “Grand Santo” ont échoué, la gravité se lit sur les visages usés des Flamands Verts.

Face à l’assemblée réunie sous le dôme, la maire prend la parole : 

 

La maire :

“Mes amis, nous ne pouvons plus continuer ainsi. L'innommable “Grand Santo” a confisqué toutes nos graines, nous devons trouver un moyen de les reprendre. Ces ressources sont naturelles, elles doivent être à la disposition de tous et nous devons pouvoir en bénéficier ! "

 

Au milieu de la foule approbatrice, un personnage sombre et énigmatique se lève et prend la parole. C’est Schrödinger

 

Schrödinger :

" C’est bien beau d’haranguer la foule comme cela Madame la maire. Mais comment allez vous faire ? Vous ne pourrez jamais lutter contre une telle société ! Et à quoi bon? il y a bien longtemps que tout est fini pour nous! "
 

Un habitant :

" Comment oses-tu Schrödinger ? Tu as tout fait pour que cela arrive. 

Tu étais le représentant de nos intérêts lorsque la confiscation a commencé. Tu nous as manipulé et endormi avec de beaux discours pour le compte du “Grand Santo”."

 

Schrödinger :

" vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous même, c’est vous qui avez accepté ce qui vous a été proposé ! Je n’ai fait que relayer les informations ! " 

 

La maire :

" allons, allons messieurs, le temps n’est plus aux querelles vaines. Aujourd’hui, c’est d’action dont nous avons besoin. Nous avons évoqué la confiscation des graines par Grand Santo, mais il est un autre sujet grave dont nous devons nous inquiéter : la disparition des chats !
Où sont-ils passés ? Et si nous retrouvons un jour nos graines, qui s’occupera des souris et des rats ? Elles seront à nouveau mangées ! Cette disparition des chats serait-elle encore un coup de cette organisation criminelle ? “ 

 

Schrödinger

" enfin tout de même, nous ne pouvons pas tout mettre sur le dos de Grand Santo !”

 

Un habitant : mais tais-toi donc Schrödinger, tu sais bien que Grand Santo détient tous les pouvoirs, et qu’il peut d’un claquement de doigt obtenir tout ce qu’il veut. " 
 

Soudain, dans la foule quelqu’un s'écrie: “quelque chose m’a frôlé”. 

D’abord passé inaperçu, ce "quelque chose” se faufile dans la foule, puis un miaulement haut et clair se fait entendre, suivi d’un ronronnement. 

 

Tous s’exclament :

" Mais… c’est un chat ! "

 

Tantôt insaisissable, tantôt avide de caresses, le chat avance tranquillement dans un parterre de jambes. La voix agacée de Schrödinger retentit :  

" A qui est ce chat ? Que fait-il ici ? Je suis sûr qu’il est à l’un d’entre vous, peut-être même en cachez vous d’autres ! "
 

Le chat :

" Cela suffit Schrödinger. Ta manière d’être est tout bonnement insupportable! Ici tout le monde cherche des solutions. Tout le monde a envie de retrouver la joie de vivre et  la douceur du printemps. Te souviens-tu du temps où tes sens étaient encore en éveil ? Où tu voyais les abeilles butiner et entendais les fleurs et les oiseaux chanter ? T’en souviens-tu ? "

 

Dans le silence pesant que son intervention a provoqué, le chat se dirige lentement vers Schrodinger. Arrivé à sa hauteur, le chat lui saute dans les bras et tous deux disparaissent.

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Le FACE à FACE de SCHRÖDINGUER

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Le chat se love contre moi et...

Tout mon corps devient fluide.

Je fonds comme une bougie sur une pente infinie. 

Je remonte le fleuve du temps. 

De l’eau entre dans mes poumons.

Happé par un fond sans fin, mon corps s’enfonce à mesure que je m’étouffe.

Puis la terre touche mes pieds.

A nouveau je respire.

 

Et je suis là ! 

Dans l’herbe. Une odeur magnifique de printemps dans les narines.

Des fleurs entre les orteils.

Je connais cet endroit, je le reconnais.

J’y venais souvent.

J’y pêchais enfant.

Au bord de la Reyssouze.

C’est ici qu’à l’époque est venu le voleur de graines.

Celui qui m’a volé mon baluchon.

Mon bien le plus précieux… 

Mes dernières graines !

 

Sur la berge verte, le chat me regarde.

Le soleil dans ses grands yeux me réchauffe.

Il m’attend.

Je le suis sans un mot.

 

Au bord de la rivière, il y a un ponton,

Au bout du ponton, il y a un enfant,

A côté de l’enfant, il y a le chat,

A côté du chat, il y a un petit baluchon.

 

L’enfant me dit :

 

- Bonjour toi. Qui es-tu ?

- On m’appelle Schrödinger. J’ai voyagé avec le chat. Je viens du futur. Et toi qui es-tu ?

- Moi je suis toi. Je suis le toi d’avant. Où plutôt tu es le moi d’après. Enfin, c’est pareil. Nous sommes Nous à travers le temps. Pourquoi es-tu venu ici avec le chat ?

- Je n’ai pas eu le choix, c’est le chat qui m’a fait voyager.

- Moi, je sais pourquoi tu es venu. Tu es venu reprendre ce que tu n’as pas su conserver. Tu sais posséder, tu sais prendre, tu sais acheter, tu sais vendre, mais tu ne sais pas partager.

- C’est vrai. Tu sais, dans le monde où je vis, plus rien ne pousse. Le Cycle est rompu. Les graines ont été confisquées, privatisées. Nous n'y avons plus accès. Grand Santo nous en demande très cher. Nous n’avons plus les moyens de lui racheter chaque année et nous ne savons plus les faire pousser nous-mêmes. J’aurais besoin que tu me donnes tes graines pour repeupler notre clairière. Veux-tu bien m’aider ?

- Tu crois que si je te donne mes graines, tout cela va changer ?

…

Et bien d’accord… Je te fais confiance. 

 

Et il lui tend le baluchon.

 

LE RETOUR de la GRAINE

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Au contact des graines, Schrödinger reparaît comme par magie au milieu de l’assemblée des Flamands verts. Immobile, les mains serrées le long de son corps crispé, il cache les graines à l’assemblée qui le regarde, interloquée :

 

Un habitant: 

" Schrödinger, mauvais pantin que tu es ! Où as-tu mis le chat ! Qu’en as-tu fait? " 

 

D’un calme qu’on ne lui connaît pas, Schrödinger inspire profondément et répond : 

 

Schrödinger : 

" Il s’appelle Noisette. Le chat. Noisette. C’est son nom. C’est une femelle. Elle est arrivée du passé pour que le cours de l’Histoire change. "

 

Plus que surpris par les mots de Schrodinger, personne ne moufte et le silence s’installe. Schrödinger reprend la parole. 

 

Schrödinger : 

" Comme chacun d’entre vous le sait, j’ai toujours été très sceptique quant à nos réunions, nos objectifs, et mon ambivalence m’a fait vous jouer de mauvais tours. Je l’avoue, j’avais peur. J’étais en colère. J’habitais le doute et voulais qu’il se propage jusque dans vos espoirs les plus profonds. " 

 

Lorsque vous m’avez vu disparaître tout à l’heure, le chat dans les bras, vous n’avez pas rêvé. Au contact de l’animal, l’invraisemblable s’est produit. Je suis comme tombé dans les pommes. Lorsque j’ai ouvert les yeux, j’étais sur un ponton où je pêchais jadis. Il y avait un enfant qui caressait un chat. Notre chat ! 

 

Cet enfant, c'était moi, 70 ans plus tôt ! Jeune et plein d’espoir. Il m’a ouvert son cœur, et j’ai compris qu'avec l’âge, j’avais perdu mes rêves et mon sourire. 

 

Il m’a fait prendre conscience de celui que j’étais devenu et de celui que je ne voulais plus être. Mieux encore, il m’a offert un présent pour nous tous.

 

Schrödinger tend son bras, lentement, puis ouvre sa main. Les graines sont là, belles et fragiles, prêtes à être plantées.